par Emmanuel Carlier
1995, vidéo à partir de photos

Propositions pour une description dynamique des parcours de signification. L’exemple de l’art-vidéo et des Temps morts d’Emmanuel Carlier

analyse par Marie Renoue

Choisir de traiter d’art ou plus précisément de la réception d’œuvres contemporaines invite à se poser la question de la méthode descriptive, de la cohérence et de l’historicité du point de vue théorique sous-jacent, et ce d’autant plus quand les œuvres jouent de l’inédit formel et sémantique. Faisant nôtres l’intérêt pour la dimension réflexive de l’art – que dit-il au spectateur sur sa relation à l’objet ? Que nous dit-il de ses valeurs ? – et la teneur phénoménologique de nombreux discours actuels, nous avons entrepris d’étudier l’œuvre sous l’angle de l’interaction, c’est-à-dire de considérer les modalités de son influence sur le spectateur qui la reçoit, celle de son interprétation et de son appréhension par ce spectateur culturel à prétention généralisable que présupposent les visualistes. Autant dire que notre questionnement vise la signification des objets en tant que processus qui lie, dans un contexte donné, le sujet et l’objet sémiotiques d’une perception sensible et cognitive en devenir.

Dynamique, notre étude de la réception sémantique et pathémique d’un objet incite également à interroger les limites de celui-ci, l’impact visuel et sémantique de son exposition et de sa classification générique en tant qu’ils sont connecteurs de valeurs plus ou moins stabilisées. C’est la convocation de ces valeurs culturelles que nous proposons de traiter en focalisant d’abord notre attention sur l’appartenance générique et sur l’exposition d’une œuvre particulièrement complexe.

Cet intérêt pour les valeurs contextuelles et intertexutelles est en effet fortement motivé par l’objet dont l’analyse illustrera notre démarche descriptive. Présentée lors d’un Festival de la photographie (Lectoure, 1999), la vidéo Temps morts (1995) d’Emmanuel Carlier apparaît saccadée, constituée d’un montage de photographies qui, tout en posant la question de la définition sociétale du genre de la vidéo, présente un mode d’égrenage et des tensions particulièrement saillantes. Notre problématique sera donc plurielle : comment le genre de la vidéo et le contexte photographique modalisent-ils la saillance de Temps morts ? Quels sont les parcours proposés à son spectateur ? Comment analyser les effets rythmiques et tensifs du montage filmique et des motifs “séchés” par la photographie ?

La réception d’objets d’art et les compétences artistiques

De l’interdéfinition phénoménologique du sujet et de l’objet, la sémiotique peu proposer une analyse en termes de modalisation de la visée et de la saisie d’un objet par un sujet dont les compétences sont actualisées et reformatées par l’objet saisi. L’instance objective serait ainsi manipulatrice, convoquerait des compétences en devenir, et l’instance subjective ne serait pas une enveloppe vide uniquement modalisée par son désir de l’objet, mais un sujet historique doté d’une compétence perceptive, cognitive et émotive. De celle-ci, il convient de noter la complexité : elle, suivant la leçon de la sémiotique narrative, visualisante – de l’ordre d’un vouloir ou d’un métavouloir, suivant la distinction de J. -Cl. Coquet (1984) – et actualisant – de l’ordre du pouvoir et du savoir, deux modalités en connivence puisque le savoir-voir est aussi, dans le cadre de compétences acquises, un pouvoir-voir. Ce savoir est multiple : modal, il répond aux “comment aborder une œuvre, l’analyser, la recevoir” et corrélativement il est une somme de connaissance catégorielles sur l’art, les genres artistiques, leur évolution et leur nouveauté.

D’un point de vue méthologique, les références à une forme d’histoire de l’art sont dont légitimes pour décrire la réception des œuvres, leur saillance et leurs valeurs – surtout dans un domaine qui valorise autant l’inédit. Dans une étude de la réception sociétale des objets, il semble néanmoins nécessaire de limiter l’extension de cechamp de compétences, de proposer une sorte de modus vivendi quantitatif entre la spécialité historienne artistique et les compétences d’un sujet potentiel. La question du point de vue est déterminante et toujours problématique dans la description ; elle invite à nuancer le contenu de l’interprétation ou à tenter d’en cerner le champ par l’évocation de paradigmes de référence – une option que nous retiendrons et développerons ici par des exemples.
Malgré leur caractère approximatif, ces références à une petite histoire de l’art doxique permettent de rendre compte des modalités de la visée des objets, de leur valorisation et leur évaluation. Déterminantes, ses classifications actualisent en effet, avec des modes spécifiques d’attention – on ne regarde pas une photographie comme une vidéo -, des figures plus ou moins stabilisées qui modalisent la saillance de l’objet. Car le caractère extraordinaire ou anisotope d’un trait au sein d’un paradigme semble pouvoir en assurer la saillance, et il en va de même de certains traits considérés comme phénomènes de mode.

Vous venez de lire un extrait de  40% de l’article complet qui est publié dans le livre : L’Image entre sens et signification de la collection Images analyses aux Éditions de la Sorbonne. 

La méthode est inclue dans l’analyse.

Diplômée d’histoire de l’art, docteure en sciences du langage et agrégée de lettres classiques, Marie Renoue est l’auteure d’ouvrages et de nombreux articles sur la sémiotique de la perception et de l’esthétique, sur les arts contemporains, plastiques, photographiques et cinématographiques, et sur la médiation des expositions muséales et festivalières.
Voir la publication de la Sorbonne

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