Ce texte concerne une installation personnelle intitulée « maki » , réalisée récemment dans le cadre de l’exposition « 24 jours », salle Michel Journiac au campus universitaire de Fontenay-aux-roses.
Elle a l’apparence d’une machine géante à l’arrêt qui occuperait la totalité d’un local technique de 80 m2. Après en avoir franchi le seuil, nous sommes plongés dans une pénombre chromatique orange et verte. Scénographie artistique ou expérimentation psychophysiologique ?
Deux fenêtres ont été recouvertes de gélatines utilisées pour les éclairages dans les tournages de film : sur la droite une lumière orange intense, sur la gauche une lumière verte plus saturée mais un peu moins intense et des spots, avec les mêmes filtres, qui soulignent certains volumes, certaines transparences.
Cette « salle des machines » ne nous livre pas la règle du jeu au premier tour de piste, elle nous demande un peu de patience : ici, pas de bande son, pas de cliquetis ludiques ni de grincements expressionnistes mais une nette disparité entre une étroite bande de papier-journal de 60 m de long et six grosses bobines de bois immobiles et visiblement disproportionnées pour maintenir le dessin-maki au-dessus du vide… Contraste entre le mécanique des bobines et le « fragilisme » du papier journal…
Ce n’est donc pas un défilement cinématographique classique qui nous attend car le film, c’est à nous de le parcourir… à pied ! Les 70 dessins orange vif largement espacés, comme des macules parfois à plus d’un mètre de distance les uns des autres, sont plus près de l’image voire de l’imagerie que de la peinture au sens classique du terme. Ce sont des images d’après -ou d’avant- modèle (s), un croisement d’inventions, de citations et d’observations où la notion d’oeuvre est fortement relativisée par l’absence et/ou la profusion de ses sources.
Une tête mexicaine, un buste de femme, la lettre R dessinée en majuscule, un dessin d’une femme debout, un portrait d’homme de profil, la lettre V dessinée en majuscule, un portrait de femme d’après une sculpture romane, la lettre P (tronquée), un portrait de femme recouvert de papier blanc, deux portraits de femme dans une position symétrique, deux pages entièrement recouvertes de papier kraft blanc, cinq cercles concentriques, la lettre M d’un alphabet anthropomorphe à la limite de l’obscénité, etc.
Instauration
Le sens global de cette démarche n’apparaît pas sous la forme d’une traduction mais plutôt d’une instauration à partir de gestes appris ou distanciés et de souvenirs réels ou inventés. Ces dessins ne sont pas nécessairement destinés à reproduire l’expression d’un vrai modèle, mais ils nous offrent celles que le pinceau a inventées, parfois par accident.
Le maki désigne donc ici à la fois les bobines comme pièces d’une mécanique immobile, la bande de papier-journal et le film d’images qui se sont trouvées là, au bout du pinceau.
Référents
Du point de vue du référent, c’est la notion de « corps » qui relie les 70 dessins : corps de la lettre en écho au journal, le corps féminin et ses innombrables jeux de citations et de mise en abyme,mais le principal fil conducteur reste le corps du dessin lui-même, c’est-à-dire son mode d’inscription plastique qui le rend image voire icône. Les gestes sont-ils des icônes avant d’être des signes ? Ces multiples façons de s’incarner passent par le corps du support c’est-à-dire les journaux, rassemblés en morceaux de trois ou quatre mètres, puis collés de manière aléatoire pour réaliser ce rouleau de 60 m.
Origine
Ces dessins sont les séquences d’un film qui ne cherche pas à raconter, ni même à se raconter, ils sont des fragments métonymiques pour donner à voir une respiration entre réel (s) et référence (s). Le dessin est peut-être parfois le lieu d’origine de ce que nous voyons ou de ce que nous aimerions voir, il peut être ce qui précède nos manières de percevoir et nos perceptions elles-mêmes. Dans ce retournement possible et cette diversité, les outils d’analyse et le mode de conception sont alternativement le moteur et l’objet de cette démarche.
Vous venez de lire un extrait de 40% de l’article complet qui est publié dans le livre : Images et Esthétique de la collection Images analyses aux Éditions de la Sorbonne.