Depuis leur apparition dans les années 1970 (cf. , Berger, les analystes féministes de l’image (fixe, animée et des médias en général) s’intéressent au fait que les images sont « déterminées » par la « différence sexuelle » ou les « genres » (la terminologie est fonction des courants et des époques), tant au niveau de la production des images que de leur réception. Pour un féminisme constructiviste-performatif, comme celui qui a marqué la critique féministe culturaliste dans les années 1990, l’image fait partie des technologies de production des genres en ce qu’elle permet la récitation d’idéaux de genres normatifs, d’une masculinité et d’une féminité qui ont justement besoin de se répéter sans cesse pour exister et s’imposer (formulation butlérienne appliquée aux images). À un niveau métaréflexif, la prise en compte des genres doit également concerner les modes d’analyse pratiqués, le genre du spectateur ou de l’analyste, comme l’a très rapidement avancéTeresa De Lauretis.
L’idée selon laquelle les supports visuels sont cruciaux dans la production et la reproduction des genres dans les cultures occidentales industrielles marquées par la circulation et la commercialisation de masse des images (y compris des images d’art) peut être relayée par des disciplines aussi diverses que la sociologie, l’histoire (de l’art) ou l’anthropologie classiques. Cependant, les études culturelles (anglaises et américaines) et les approches féministes qui s’en inspirent ne se contentent pas d’être constructivistes ou de privilégier les genres comme catégorie d’analyse. Qu’elles empruntent à la philosophie des droits civiques des années 1960 aux États-Unis (cf. Carey) ou s’expliquent en partie par la crise de l’identité nationale anglaise de l’après-guerre (cf. Hoggart, Williams), elles posent des questions supplémentaires : celle de la représentation des minoritaires absents de (ou « figés » dans) l’espace public, du pouvoir politique de l’image et des représentations. Pour les féministes comme pour les culturalistes, a fortiori pour les féministes culturalistes, les images doivent donc être analysées en fonction des rapports de pouvoir (de pouvoir/savoir pour les plus foucaldiens) qu’elles construisent (dans la relation au public, aux destinataires, pour les sujets regardants et compte tenu des possibilités identificatoires déployées ou non), en fonction de leur détournement, des formes de résistance qu’elles suscitent (cf. Hall, Hooks), de leur resignification possible ou encore d’une possible prolifération d’images émanant des minorités.
L’image, sa production et son analyse ne sont pas pures. Elles ne peuvent être séparées des contextes et de leurs ancrages culturels, comme ont pu réussir à le faire croire le discours esthétisant et les diverses célébrations de l’artiste relevant d’une approche moderniste et souvent néokantienne de l’image, masculiniste et élitiste. La critique féministe culturaliste cherche donc à éviter l’écueil du formalisme, du recours exclusif à une discipline ou une terminologie, qu’il s’agisse de I’ « analyse de l’image de la femme » ou des récentes reformulations d’une critique féministe du visuel. Car, s’il est vrai que notre modernité s’est construite à la fois sur I’invisibilisation et la stéréotypisation de ses dehors constitutifs (femmes, femmes au travail, esclaves, colonisés, « primitifs », classes dangereuses, déviants sexuels et de genre, femmes de couleur et prostituées) et que la construction du regard et l’explosion du développement des « prothèses » de l’œil au XIXe siècle (cinéma, photographie, etc.) y ont activement participé, analyser une image doit se concevoir généalogiquement, en fonction d’un grand nombre de régimes de visibilité spécifiques et de la production de cout type de savoir et de tout type de support où le visuel est gage de « vérité ».
De manière à tester les différences et les limites des grilles théoriques et politiques utilisées par l’analyse féministe de la femme et du visuel, je me propose de faire fonctionner pour l’analyse de l’Anatomy of a Pin-Up Photo, deux de ses principaux outils : le male gaze (le regard masculin) et le « fétichisme ». Avec, pour commencer, une approche féministe inspirée de la sémiologie et de la psychanalyse structurale qui emprunte à l’abondante littérature de la« théorie du film » qui fit florès dans les années 1970 et 1980. Suivra une approche féministe pro-sexe en pointillé. La dimension pro-sexe n’est pas à proprement articulée en tant que telle dans les textes critiques actuels d’analyse du visuel. Elle sera livrée ici à l’état d’ébauche mais laissera suffisamment entrevoir le repositionnement qu’elle inflige à la notion de« fétichisme » en la recontextualisant et en la resexualisant avec la prise en compte des cultures et sexualités SM dans leurs relations avec la construction de la race et de la classe à l’époque moderne. Elle permet notamment une prise en compte dans l’analyse de la photographie de Sprinkle d’un élément comme ces « bottes qui prennent dix-neuf minutes à lacer », d’un genre comme la presse masculine et des cultures pornographiques, plus souvent diabolisées qu’étudiées par les approches féministes essentialistes et déconnectées des cultures minoritaires féministes pro-sexe, donc fait partie Annie Sprinkle.