Brésil, Florianopolis

Sémiotiques des signes visuels et du design de l’information

analyse par Bernard Darras

Cette étude sur les pictogrammes représentant les humains a été initialement suscitée par la lecture du livre d’Alain Etchegoyen : Éloge de la féminité, et notamment par ce passage :

« […] tout ce qui est commun est de l’espèce, tout ce qui est différent du sexe » (Etchegoyen, 1997, p. 119). De toutes les différences, les différences dans la morphologie des sexes sont celles qui ont maximales entre les humains, toutefois, en raison des règles sociales qui gouvernent l’exposition et la dissimulation des différentes parties du corps, règles qui sont intégrées sous forme des diffé­rentes formes de la décence et de la pudeur, ce sont précisément ces attributs qui ne peuvent être exposés publiquement à la vue. La question centrale de cet article peut se formuler ainsi : comment le sexe comme signe non montrable parvient-il à se donner à voir ?

Nous tenterons d’y répondre en traitant successivement et complémentairement de l’organisation des signes existants, puis nous étudierons les signes dans leurs fonctionnements cognitif, créatif, pragmatique et social.

Les signes dans le système des signes internationaux

Les signes qui font l’objet de cette étude appartiennent aux systèmes de communication visuelle plus ou moins conventionnels et stabilisés qui relèvent de la signalétique et qui ont tendance à respecter certaines normes internationales tant dans leur concept que dans leur traitement graphique.

La première étape de cette étude a consisté à constituer une collection d’images en provenance de tous les continents. L’objectif de la collecte n’était pas de constituer un échantillon représentatif de la fréquence d’utilisation de chaque pictogramme – ce qui eût été une opération difficile à conduire -, ni une étude comparative des influences de chaque environnement culturel – ce qui reste une étude à réaliser -, mais plus simplement une exploration de la diversité et de la variabilité des pictogrammes. C’est donc la recherche des variations de la signalétique qui a motivé la constitution de ce corpus qui comprend plus de cent couples de pictogrammes différents.

Si nous ne considérons que les paires de pictogrammes “féminins” et “masculins” recensés dans notre échantillon, nous avons accès à une relativement grande diversité de figures.

Une étude structurale et morphologique de ces paires de pictogrammes permet de dresser une liste de leurs composants.

Cette liste comprend les principaux segments du corps humain ainsi que leurs variations en fonction du sexe du personnage. Tous les pictogrammes de l’échantillon peuvent être considérés comme représentés de face. En fait, ils sont interprétés comme tels car ils pourraient aussi bien être représentés de dos. Dans la majorité des cas, aucun signe de la face des visages ou des vêtements n’est visible. C’est donc seulement parce que la représentation de dos est rare et de ce fait sémantiquement non pertinente que nous supposons que les figures nous font face. Les signes sont clairs sur fonds sombres et colorés ou inversement. Ils sont parfois accompagnés d’un texte indiquant les lieux qu’ils signalent, voire d’une information sur le sexe. C’est le cas dans le panneau que nous avons retenu et qui porte les informations en portugais WC Feminino/masculino.

Les autres composantes retenues dans notre étude sont :

– Les formes de la tête et leurs éventuelles différences de taille – les plus grandes étant réservées aux hommes -, et les cheveux qui sont parfois ajoutés aux têtes des pictogrammes féminins.

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Le cou est le plus souvent absent et remplacé par un vide, parfois la tête est directement collée au tronc. Si le cou est dessiné, il arrive qu’il soit plus épais pour l’homme que pour la femme.

– Dans quelques cas plutôt rares, un trait marque l’emplacement de la poitrine de la femme.

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– La carrure ou largeur des épaules est un attribut différenciateur fréquem­ment utilisé. Elle est plus large pour les hommes que pour les femmes, mais elles sont parfois de même taille. En combinaison avec cet attribut, le dessin des épaules connaît deux formes : les tracés à angles droits ou arrondis. Ces derniers sont le plus souvent réservés aux femmes.

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– Les bras peuvent être plus longs pour les hommes et portés parallèlement au corps ou en formant un angle. Cette seconde position est plus fréquente dans les pictogrammes des femmes. Les bras sont alors parallèles aux bords de la jupe/robe avec laquelle ils se superposent très rarement.

– En général les mains ne figurent pas précisément dans les pictogrammes. Elles sont incluses dans le motif du bras.

– Le passage du tronc au bassin est marqué ou non par la taille. Cette morpho­logie est rare dans les dessins des hommes, mais elle est fréquente dans ceux des femmes. Dans de rares pictogrammes de femmes, la silhouette présente un léger déhanchement.

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– Le dessin des jambes des hommes laisse supposer qu’ils portent un pantalon. En revanche, le dessin des jambes des femmes est souvent plus étroit, ce qui, associé au port de la robe ou de la jupe, laisse supposer que les jambes sont nues. Les jambes sont en général dessinées en parallèle, mais elles peuvent converger en pointe dans certains pictogrammes de femmes. Elles sont pudiquement serrées dans les pictogrammes des femmes, alors qu’elles peuvent être ostensi­blement écartées dans ceux des hommes.

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– Les jupes ou robes sont de longueurs et de formes très variables. Longues, coupées aux genoux ou courtes, elles démarrent de la taille ou sous les bras. Elles peuvent être en trapèzes plus ou moins évasés ou courbes avec diverses varia­tions.

– Les pieds et chaussures sont comme les mains : intégrés ou absents.

Enfin, il est intéressant de noter que si les deux pictogrammes sont généra­lement de même taille, il arrive que le signe de l’homme soit plus grand que celui de la femme.

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Une ultime information concerne la latéralisation des membres du couple. L’homme et la femme pouvant être du côté gauche ou droit du panneau. Ainsi que nous venons de le voir, presque tous les constituants des pictogrammes peuvent être utilisés pour marquer le sexe de l’un ou l’autre personnage.

Vous venez de lire un extrait de  40% de l’article complet qui est publié dans le livre : Images et Sémiologie de la collection Images analyses aux Éditions de la Sorbonne. 

Le dispositif signifiant et son environnement

Dans le cadre d’une étude sémiotique, il existe crois principales façons de considérer le rapport qu’un dispositif signifiant entretient avec son environnement :

– Dans le premier cas, l’un et l’autre sont considérés comme distincts. Le premier est alors envisagé comme bénéficiant d’une indépendance et d’une autonomie suffisamment forces par rapport à son environnement pour en être isolé. C’est ce que nous avons fait lors du traitement de la structure du panneau de signa­létique « homme-femme », et c’est ainsi qu’ont majoritairement procédé les auteurs présentés dans cet ouvrage.

– Dans le second cas, l’analyse reconnaît les interdépendances du dispositif signifiant et de son environnement et elle les exploite. C’est ce que nous avons tenté de faire en restituant la construction des signes dans leur action, lors de la présentation de l’approche pragmatique de l’interprétation des panneaux « homme-femme » par un sujet masculin accompagné d’une fillette. Les études pragmatiques relèvent généralement de ce second type d’approche.

– Dans le troisième cas, le dispositif signifiant et son environnement sont à peine séparés. Cette conception privilégie la continuité et c’est donc tout un système qui est étudié avec ses constituants et leurs relations plus ou moins forces. Selon cette conception sémiosystémique, il n’y a plus un texte et son contexte, mais un texte plus ou moins étendu, un tissage de relations dont l’in­fluence s’atténue à mesure que l’on s’éloigne de la zone signifiante sur laquelle l’attention s’est focalisée. Nous avons ici tenté une telle approche en replaçant le signe « homme-femme » dans le système des signes de marquage du genre et de la culture qui prolonge et complète l’approche pragmatique déjà citée.

Professeur de sémiotique et de méthodologies de la recherche à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne à Paris, France. Il est aussi Enseignant Chercheur invité au Brésil, en Corée, en Tunisie, au Liban. Il est Directeur de l’Ecole doctorale Arts Plastique, Esthétique et Sciences de l’Art et Directeur Exécutif de l’Institut ACTE UMR 8218 (Arts-Créations-Théorie-Esthétiques) et il dirige le département de Culture et Communication à la faculté des arts et sciences de l’art (UFR 04) Ses recherches récentes concernent la sémiotique pragmatique et cognitive ainsi que la sémiotique systémique appliquées à la culture visuelle, numérique et matérielle. Il est l’auteur d’un peu plus de 200 livres, chapitres de livres et articles scientifiques publiés en différentes langues. En Mars 2012, Bernard Darras a reçu the International Ziegfeld Award à New York.
Voir la publication de la Sorbonne

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