Agence Leo Burnett,
publicité 1992.

Comment marquer son identité en participant au rêve américain. Analyse d’une annonce publicitaire

analyse par Nicole Everaert-Desmedt

Introduction : l’objet d’étude et la méthode

Notre objet d’étude est une publicité pour les cigarettes L&M, parue en 1992. Cette annonce est un exemple de publicité classique, qui conseille implicitement d’acheter le produit en faisant des « constatations » valorisantes à propos du produit et de son consommateur.Notre méthode est élaborée dans le cadre standard de la sémiotique de l’Ecole de Paris. Elle consiste à analyser le contenu d’une image à différents niveaux de profondeur, dans la perspective d’un lecteur modèle qui reçoit cette image d’abord à un niveau le plus concret (figuratif), pour atteindre, au terme de son interprétation, un niveau de signification plus abstrait (thématique), en passant par un niveau intermédiaire (narratif).

2. Présentation de la méthode

2.1. Le niveau figuratif

Au premier niveau d’analyse, nous mettons en évidence les relations d’analogie et d’opposition entre les figures qui constituent l’image. Nous voyons ensuite comment ces figures s’organisent en motifs.

2.2. Le niveau narratif

Au niveau narratif, nous observons les relations actantielles, c’est-à-dire essentiellement des relations de jonction (conjonction ou disjonction) entre des sujets et des objets, ainsi que les actions (ou programmes narratifs) par lesquelles les sujets (appelés « opérateurs ») transforment leur état ou l’état d’un autre sujet.
Les actions des sujets opérateurs sont suscitées et évaluées par un autre actant, le destinateur (appelé sujet manipulateur lorsqu’il suscite, et sujet judicateur lorsqu’il évalue).

2.3. Le niveau thématique

Au niveau thématique, nous mettons en évidence, à l’aide du carré sémiotique, les valeurs véhiculées par le texte considéré.

3. Analyse

3.1.Niveau figuratif

Notre annonce ne contient que deux figures, une plaque d’immatriculation et un paquet de cigarettes L & M. Entre ces deux figures s’établissent des rapports d’analogie : la plaque d’immatriculation présente les mêmes couleurs et les mêmes signes graphiques (lettres et chiffres) que le paquet de cigarettes. Les deux figures entrent également dans un réseau d’oppositions : la plaque constitue le fond de l’image, alors que le paquet de cigarettes se trouve au premier plan ; elle constitue une figure à deux dimensions, tandis que le paquet forme un volume ; la plaque est présentée partiellement (mais les inscriptions continuent virtuellement hors de l’image), et le paquet est présenté dans sa totalité (mais quatre cigarettes en sortent).Nous retrouvons, dans notre annonce L&M, trois motifs caractéristiques de la publicité classique : l’exposition du produit, sa consommation, et l’univers du consommateur.

Le produit est exposé, au premier plan, de telle façon (position et éclairage) que la marque soit bien visible. Son exposition est légèrement (et habilement) métaphorisée : le paquet s’avance sous les feux des projecteurs, comme une vedette sur scène.

Le paquet est ouvert, et quatre cigarettes en sont partiellement sorties, pour être offertes au consommateur. La position des cigarettes offertes à la consommation peut être vue comme une métaphore de l’Empire State Building. Cette métaphore, discrète, à peine esquissée, renforce, si elle est perçue, le motif suivant.
L’univers euphorique dans lequel le consommateur potentiel des cigarettes L & M est invité à se projeter est celui du « rêve américain », représenté par la plaque d’immatriculation. Celle-ci renvoie, en effet, par métonymie, à un type d’événement supposé valorisant (pour le public-cible de l’annonce) : conduire une voiture américaine.

3.2. Niveau narratif

Notre annonce, apparemment statique (avec ses deux figures immobiles), se dynamise cependant lorsque l’on tient compte de la profondeur de l’image.
Du fond vers le premier plan, on peut lire un premier parcours narratif : les Etats-Unis (représentés métonymiquement par la plaque d’immatriculation) vous présentent (rôle de l’apostrophe de 25’S, qui fonctionne comme une flèche) leur produit-vedette (le paquet au premier plan, sous les feux des projecteurs).

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L’Amérique joue donc le rôle de destinateur-sujet manipulateur. Le produit occupe la position d’un sujet opérateur : il a accompli la performance de contenir 25 cigarettes de qualité américaine !
Il sollicite à présent, à juste titre, en se plaçant sur le devant de la scène, la reconnaissance ou la glorification de la part du public : le consommateur.

Ce dernier se trouve ainsi placé en position de sujet judicateur, c’est-à-dire qu’il est amené à approuver le système de valeurs présenté dans l’annonce. Or, celui qui approuve les valeurs les considère comme désirables, en vient à les désirer… Et c’est ainsi que le consommateur entre dans le deuxième parcours narratif.

Du premier plan vers le fond, le consommateur est invité à jouer un rôle de sujet opérateur à qui est proposé un objet de valeur : le rêve américain. Pour l’atteindre, il doit passer par la consommation des cigarettes qui sortent du paquet.

3.3. Niveau thématique

A propos de notre annonce, nous pouvons construire deux carrés sémiotiques : l’un, sur la base des oppositions, et l’autre sur la base de l’analogie entre les figures (cfr niveau figuratif).
Sur la base des oppositions entre les figures : le rêve s’oppose à la réalité.
Le rêve, lointain, insaisissable, occupe le fond de l’image : c’est l’Amérique, représentée par la plaque d’immatriculation. La réalité est celle du paquet de cigarettes, lequel s’avance, en volume, hors de l’image, pour rejoindre l’espace du consommateur.Nous pouvons tracer, sur le carré sémiotique suivant, le parcours thématique entre rêve et réalité :
Les cinq étapes numérotées sur le carré suivent le parcours du regard (cfr schéma tracé sur l’image).

Nous pouvons résumer le parcours thématique comme suit : le rêve américain (1) vous est présenté par l’image publicitaire (2) sous la forme du paquet de cigarettes (3), et la consommation des cigarettes, déjà sorties du paquet (4), vous fera participer au rêve américain (5).

Sur la base de l’analogie entre les figures : l’identité.

La plaque d’immatriculation permet au propriétaire de la voiture de marquer son identité (parmi toutes les autres plaques des autres voitures). De même, par l’analogie présentée dans cette annonce, le consommateur est invité à se distinguer (de tous les autres) et à marquer son identité en choisissant la sélection-combinaison de tabacs (cfr « selected quality tobaccos ») réalisée pour lui par L&M.

L’élaboration de la plaque d’immatriculation ou du paquet L&M se fait selon le parcours thématique suivant :
En combinant les valeurs qui apparaissent sur les deux carrés sémiotiques, ce que la publicité L&M nous propose, c’est de marquer notre identité en participant au rêve américain !

4. Conclusion : apport de la sémiotique.

Notre analyse montre ce que la sémiotique standard de l’Ecole de Paris peut apporter à l’analyse du discours publicitaire : une analyse systématique en niveaux qui montre le fonctionnement de la signification à l’intérieur de l’annonce elle-même.

Notre méthode est élaborée dans le cadre standard de la sémiotique de l’Ecole de Paris. Ce cadre théorique nous a permis de nous constituer une véritable boîte à outils, dont nous avons pu éprouver l’efficacité en abordant divers types d’objets culturels : textes littéraires, albums illustrés pour enfants, articles et dessins de presse, espaces, et, très fréquemment, annonces et films publicitaires .

Deux concepts essentiels régissent notre approche : la fonction sémiotique et le parcours génératif / interprétatif de la signification.

La fonction sémiotique, d’après HJELMSLEV, consiste à expliquer la production de la signification, dans un objet culturel quelconque, par la mise en relation d’un plan de l’expression (le plan matériel, le signifiant) avec un plan du contenu (le plan conceptuel, le signifié), l’un et l’autre plan étant mis en « forme », c’est-à-dire articulés, organisés, structurés.

Le parcours génératif, d’après GREIMAS et COURTES (1979), consiste à analyser le contenu d’un texte à différents niveaux de profondeur. Ce que nous désignons ici comme parcours interprétatif de la signification, et que nous utiliserons dans notre analyse, consiste à remonter, en sens inverse, les niveaux du parcours génératif. Nous nous placerons, en effet, dans la perspective du lecteur modèle de l’annonce publicitaire que nous allons examiner : ce lecteur modèle reçoit l’annonce d’abord à un niveau le plus concret (figuratif), pour atteindre, au terme de son interprétation, un niveau de signification plus abstrait (thématique), en passant par un niveau intermédiaire (narratif). Le cadre théorique de référence nous fournit les concepts appropriés pour éclairer notre objet d’analyse sur chacun des trois niveaux. Nous veillerons également à montrer comment s’opère le passage d’un niveau à l’autre.

Fonctions académiques Professeur émérite de sémiotique de l'Université Saint-Louis à Bruxelles. Elle a également enseigné la stylistique et l'esthétique à l'Université du Luxembourg, la Sémiotique appliquée à l'Architecture à l'Institut Supérieur d'Architecture Saint-Luc de Wallonie (Tournai), la Sémiologie appliquée à l'audio-visuel et l'Analyse de documents publicitaires à l'Institut des Hautes Études des Communications Sociales (IHECS, Bruxelles ). Domaines de recherche et publications Elle a tenté au cours de ses recherches de confronter les théories sémiotiques (Actes de langage, Ecole de Paris, Peirce) et de les appliquer à différents objets culturels (publicité, albums pour enfants,...) Ses recherches récentes concernent surtout les théories peirciennes appliquées à l'art contemporain. Son objectif est d'élaborer un modèle de la communication artistique en général qui intègre la production (le processus de la création artistique) et la réception (l'activité cognitive de celui qui reçoit l’œuvre d'art).
Voir la publication de la Sorbonne

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