La durée poignardée
René Magritte
La durée poignardée
par René Magritte
Londres, 1938, Huile sur toile,
147 x 98,7 (cm),
Chicago, Art Institute,
© ADAGP.
La durée poignardée
par René Magritte
Londres, 1938, Huile sur toile,
147 x 98,7 (cm),
Chicago, Art Institute,
© ADAGP.
Que dire sur un tableau de Magritte qui ne soit préalablement déjugé par le peintre? En effet, celui-ci répéta que sa peinture était faite de "pensées qui deviennent visibles", mais que "ces pensées échappent à toute interprétation" [ + ]
Magritte et l'interprétation
Il est catégorique sur ce point: "ce que je peins n'a rien de symbolique (il n'y a rien à interpréter)" . D'où sa critique de la psychanalyse -fait exceptionnel pour un surréaliste-, car elle "n'est qu'une interprétation parmi d'autres" , car elle réduit la peinture à un jeu de symboles, et Magritte n'admet ni la valeur de l'inconscient ni celle du symbolisme en général.
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Magritte, Ecrits complets (édition établie et annotée par andré Blavier, Flammarion, 1979), interview Pierre Descargues, n° 162; voir aussi n° 518, n°161, 165.
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Dès lors quelle légitimité avons nous comme interprète, a priori révoqué en doute? [ + ]
La nécessaire non-interprétation
Nous pourrions passer outre l'avis de Magritte en tenant son propos pour une résistance suspecte, ou une illusion, toute pensée ne pouvant s'exprimer que par symboles, ou une mauvaise foi, le peintre faisant autre chose que ce qu'il dit. Mais un tel désaveu du peintre supposerait une pétition de principe: pour démontrer la valeur de notre interprétation, nous serions déjà dans l'interprétation de son propos, interprétation confirmant notre droit à l'interprétation! Nous devons donc faire une étude interne du tableau et suivre les principes mêmes de Magritte. Nous tombons alors dans une seconde aporie. En effet, le peintre belge répéta que la peinture était de la "poésie visible" , son objet étant d'évoquer un mystère "absolument étranger aux interprétations naïves ou savantes" . Sa peinture rend donc vaine toute parole: "les images peintes qui évoquent le mystère affirment la beauté de ce qui n'est ni sens ni non-sens." Ni sens ni non-sens: Magritte ferme les portes de l'interprétation, puisque toute quête du sens est révoquée par avance, puisque tout discours sur l'absurde est inepte. Ainsi ses tableaux sont livrés à "l'équivoque", ce qui pour lui est une qualité, le spectateur étant alors délivré de la prétendue autorité de l'expert et de tout "mot d'ordre" interprétatif.
Une étude, interne ou externe, est par principe invalide pour Magritte. Il ne nous reste donc plus qu'à regarder son tableau muets. Sauf si Magritte lui-même parle par notre bouche. En effet, ce peintre du mystère est plutôt prolixe! Plus encore sa conception de la peinture est si cohérente qu'elle fait presque système. Pour lui plusieurs éléments entre en jeu: le rapport entre les mots et les images à l'intérieur du tableau, le rapport entre les mots du titre et les choses représentées, le rapport entre les choses peintes.
Si nous voulons, non pas percer, mais entendre le mystère de La durée poignardée, il nous faut suivre le peintre à l'œuvre, en l'œuvre . Son tableau n'exprime ni idées ni sentiments ni inconscient. Il ne projette ni affect ni pulsions. C'est pourquoi il refuse toute interprétation réduisant son tableau à l'illustration d'une association d'idées. [ + ]
Op.cit., Jan Walravens: Rencontre avec Magritte, n°161, p.538.
Son tableau rend visible des pensées dont le degré de conscience est plus ou moins intense. Voyons la continuité de sa pensée:
-la peinture est une pensée visible,
-la peinture est une poésie visible,
De là nous conclurions que la poésie est une pensée; et nous concluons bien puisqu'il dit:
-la poésie est une pensée inspirée.
De là nous pouvons conclure: la peinture est une pensée inspirée visible. Rendre visible l'inspiration, voilà l'art de peindre. Qu'est-ce donc que l'inspiration? Magritte le dit: unir les figures du monde visible (ce qui exclut les idées et les sentiments, invisibles). [ + ]
L'inspiration chez Magritte
Comment pense-t-il cette union? Une nuit de 1936 une révélation, une expérience mentale le conduisit à penser différemment la peinture. A plusieurs reprises il expose une conception cohérente. D'abord, le rapport entre "les mots et les images" ; il étudie toutes les relations possibles entre un objet et son nom, entre un nom et ses dénotation et connotation, entre un objet réel et sa représentation imagée. Puis, il affine sa pensée en examinant les rapports entre les mots, les images et les objets réels dans sa conférence de Londres , son discours de la méthode picturale. Or La durée poignardée fut peinte à Londres à cette époque. Il produit ce que nous pourrions appeler une pensée de la déclinaison: de même que dans une déclinaison il y a un radical immuable et une désinence variable, qui peut se substituer à une autre désinence selon le cas ou l'aspect, de même une chose un tableau comportera un thème, l'image globale qui donne la toile de fond, et une variation qui remplace la chose associée à ce thème par une autre chose (nom, objet, image).
Magritte affirme que ses tableaux sont peints selon cette "méthode". Encore faut-il, que cette substitution ne soit ni accidentelle ni arbitraire [ + ]
En cela Magritte critique l'arbitraire des "fantaisies" surréalistes, reposant plus sur un délire que sur une autre expérience de l'ordre mental.
, mais la "seule réponse exacte" [ + ]
Op. Cit., Ligne de vie/, p.111.
à un problème d'association. [ + ]
Exemples d'unions chez Magritte
Ainsi une cage à oiseaux (image fixe) peut être associée à un oiseau (objet réel); cet oiseau peut être remplacé par un poisson, un soulier (substituts arbitraires), ou un œuf (solution exacte ou image rigoureuse). Le tableau montrera donc une cage emplie par un œuf.
Le principe de la composition picturale reprend donc bien la règle surréaliste [ + ]
Selon la fameuse sentence de Lautréamont: la rencontre sur une table de dissection d'un manche de parapluie et d'une machine à coudre.
: la rencontre inopinée de deux objets apparemment étrangers entre eux, alors qu'elle repose sur une affinité secrète. Une affinité qui met le spectateur en état de choc, ce choc étant l'éveil à la poésie du monde.
Magritte cherche donc à rendre visible cette affinité. Pour cela il dispose de trois données: l'objet, la chose associée à cet objet dans l'ombre de sa conscience, la lumière où cette chose doit parvenir. Rendre visible c'est donc faire passer de l'ombre à la lumière, convertir une obscure aperception personnelle en une évidence commune. Que dit-il de La Durée poignardée? "
Pour la locomotive, je la fis surgir du foyer d'une cheminée de salle à manger au lieu de l'habituel tuyau de poêle . Cette métamorphose s'appelle La Durée poignardée." [ + ]
Op. Cit., Ligne de vie/, version de Scutenaire, p.122.
Ici l'objet est la locomotive. A celle-ci Magritte associe un poêle, affinité compréhensible puisque la chaudière de l'un évoque le fourneau de l'autre. Ce poêle, présent dans l'ombre de sa conscience, est habituel dans les foyers. Ici Magritte peint un intérieur bourgeois, une partie d'une salle à manger, telle qu'il put en connaître en 1937-1938, quand il alla plusieurs fois à Londres et fut hébergé chez Edward F.W. James, avec une pendule, un miroir, des chandeliers, des lambris et un parquet de chêne. [ + ]
Parquet…
Ce plancher est récurrent dans son œuvre. Nous le trouvons dans L'éternité qui représente les figures mortuaires du Christ et de Dante auprès d'une motte de beurre, dans Le poison , où le panache blanc d'un nuage envahit une pièce vide. Il réapparaîtra dans Les valeurs personnelles , avec des objets familiers démesurément agrandis. Les lambris apparaissent dans Le cadre vide , où un cadre est occulté par un mur de briques. Planchers et lambris sont indéfinis: du XIXè ou du XXè siècle, de Bruxelles, de Londres, de Paris, ou d'ailleurs.
[ + ]
Pour les lambris et le parquet, comparez avec Les raboteurs de parquet de Caillebote (1875, musée d'Orsay, Paris).
La locomotive et le poêle relèvent d'un même genre: la fumisterie et la mécanique élémentaire. Locomotive, poêle, cheminée ont une même affinité pour la chauffe. Soit, mais on comprend mal pourquoi Magritte sent le besoin de remplacer un poêle par une cheminée: faire surgir la locomotive d'un poêle serait déjà étonnant! Pourtant cela lui semblait trop quelconque parce que familier, donc sans effet bouleversant. D'où le remplacement du poêle par une cheminée qui représente cette lumière où le surgissement de la locomotive doit parvenir, ce qui est d'ailleurs le cas puisque la lumière du tableau se focalise sur cette cheminée. Il y a donc une affinité entre une cheminée et une locomotive. Affinité nette quand on sait qu'une locomotive à vapeur comportait une soute à charbon, un âtre et une cheminée.
Pourtant il ne s'agit pas ici d'un syllepse qui associerait une cheminée de maison à une cheminée de locomotive, puisque cette cheminée est condamnée: l'âtre est occulté, réduit à n'être qu'une décoration d'intérieur bourgeois.
A vrai dire tout paraît normal dans cet appartement. Il se trouvait des cheminées dont on n'avait conservé que l'évacuation. La locomotive est donc bien ici l'élément étranger. Cet engin est défini: une compound à boggies pour grands express, type Pacifics 140C ou 230G [ + ]
La locomotive…
Cette même locomotive apparaît au cinéma dans Ma vache et moi (1925) de Keaton, en bandes dessinées dans Tintin chez les Soviets (1929) et Tintin en Amérique (1931)
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Elle relève d'une histoire de la mécanique et de la technique. Agnès de la Beaumelle interprète par contextualisation La durée poignardée comme une " peinture noire" liée à la guerre d'Espagne et une prémonition de la seconde guerre mondiale par ses "machines métalliques à l'irruption inquiétante. [ + ]
Le thème de la guerre
C'est la période où le thème de la guerre, de la déchirure est fréquent chez Tanguy, Ernst, Dali, et où Magritte lui-même s'inquiète de la puissance hitlérienne.
[ + ]
Cf. Face à l'histoire, 1933-1996 , dir. Harry Bellet (Paris, Flammarion/Centre Pompidou, 1996, p.139).
Néanmoins Magritte, averti des enjeux géo-politiques de son temps, n'a jamais prétendu faire des œuvres engagées. Elles semblent plutôt étrangement intemporelles. Après tout "la durée poignardée" pourrait signifier par hypallage [ ? ]
Nom féminin
(gr. hupallagê , échange, inversion)
Figure consistant à qualifier certains noms d'une phrase par des adjectifs convenant à d'autres noms de la même phrase.
Le guerrier leva une main vengeresse (c'est le guerrier qui se venge, non la main).
un écoulement arrêté net.
Dans la conférence de Londres, Magritte transforme l'énoncé "the flying white breath of education" (le blanc souffle aérien de l'éducation) en substituant au "blanc souffle aérien" le panache de fumée d'une locomotive. Celle-ci serait ce "souffle blanc"; dès lors nous comprenons pourquoi elle vole ici, même si, en fait, nous ne comprenons rien du tout!
A moins de tordre les mots dans tous les sens, que le blanc souffle aérien de l'éducation (qui en soi est déjà un cadavre exquis) devienne le blanc panache d'une locomotive, et que cette fumée machinale sorte d'une cheminée obturée, tout cela semble sans rapport même si tout délire d'interprétation peut toujours inventer un rapport de tout avec tout...
Pour comprendre la "métamorphose" en jeu dans La durée poignardée il nous faut donc revenir au travail même de Magritte: peindre. Pourquoi donc considérer la locomotive comme un "problème" pictural? Une petite recension de ce motif dans les arts plastiques nous montrera que cette question n'est pas inepte. La locomotive fait problème au moins depuis Turner: comment la peinture, immobile, peut-elle représenter la vitesse? Comment figurer l'évolution de la forme jusqu'à sa propre dissolution, comme c'est le cas pour le panache de fumée d'une locomotive? [ + ]
Iconographie de la locomotive
Tracer le mouvement fut un problème résolu par les Grecs par une scénographie particulière évitant la déformation. En revanche, Turner représenta la vitesse au prix du sacrifice de la définition de la forme. De même lorsque Monet peignit des locomotives entrant en gare Saint-Lazare , leur panache blanc se confondait aux nuages du ciel parisien et dissolvait toute forme dans une vapeur indécise. Dans La gare Saint-Lazare, arrivée d'un train la locomotive entre en gare, de la gauche vers la droite, comme chez Magritte. Kurt Schwitters, dans Construction pour femmes élues , décompose le mécanisme roulant d'une locomotive. Le futuriste Fortunato Depero dans Composition à la locomotive superpose la vitesse d'une mécanique lancée et l'ivresse d'une fête entre amis. De même la locomotive hante le cinéma car ils ont une origine commune: un mécanisme d'entraînement avec engrenage, roue et arbre.
Un art mécanisé se devait de célébrer la mécanique: cette locomotive qui vient sur nous est bien ce dragon d'acier qui fit sortir de la salle les premiers spectateurs voyant l'entrée en gare du fameux train de La Ciotat, des frères Lumière! Violence d'une mécanique dont la force aveugle brise la tendresse de l'intimité.
En ce sens la locomotive exprime la conquête de l'espace, l'ailleurs et surtout la modernité: la redéfinition du temps et de l'espace humains à l'aune de la technique.
Celle-ci n'est plus la somme des moyens à la disposition des fins humaines, mais devient une dimension de l'efficacité qui, devenant une fin en soi, impose son rythme et son ordre à l'homme. La locomotive représente cette vitesse qui dépasse l'homme, cette machine qui l'aliène, cet ailleurs qui le hante, cette modernité qui le travaille. Elle est d'ailleurs l'héroïne de La bête humaine de Jean Renoir, film sorti l'année même où Magritte peignit La durée poignardée.
L'irruption de la locomotive dans le salon: voilà l'altérité (l'ailleurs, la machine) au cœur même de l'intimité, voilà l'expérience d'un transport, dans tous les sens du mot.
Le point commun aux peintres cités plus-haut est que représenter une locomotive lancée implique une fragmentation de la forme, de l'espace, de l'objet. La restitution synthétique d'un temps mobile dans un espace uniforme implique de penser cet espace comme le kaléidoscope de nos perceptions. Or Magritte refuse cela en procédant par interpénétration: ici l'espace et le temps sont homogènes comme si une machine surgissait dans un salon sans trouble. Cette interpénétration tranquille est obtenue par un changement d'échelle, par une miniaturisation: l'engin est un modèle réduit, ramené aux proportions de la cheminée. Ainsi réduite la machine peut se placer sans désordre matériel dans un espace préconçu; mais c'est justement une telle indifférence matérielle qui produit un désordre mental, car la réduction comme l'irruption de la locomotive n'en apparaissent que plus immotivées.
Pourtant qu'est-ce qui nous fait dire qu'il s'agit d'une "vraie" locomotive et non d'un modèle réduit justement? Pourquoi opterions-nous pour la représentation d'une Pacific 140C plutôt que pour une maquette? Autant les veines du chêne et du marbre sont réalistes, autant le chandelier, la pendule, le miroir multiplient les détails mimétiques (comme le verre biseauté du miroir), autant cette locomotive est simplifiée: maints détails mécaniques sont absents. À vrai dire, phénoménalement le tableau de Magritte ne nous permet pas de décider s'il s'agit d'une "vraie" locomotive introduite dans un salon par la magie du rêve ou d'un modèle réduit fonctionnel. L'effet bouleversant résulte en fait de l'anticipation du spectateur qui, du fait de cette réduction, a une vision synthétique de l'objet, alors identifié par avance comme une locomotive, laquelle est associée par habitude à un seul type de lieu, la gare, d'où l'effet de rencontre insolite.
Dans sa peinture Magritte ne discute pas avec un modèle (ici la Pacific 230G), ni avec un matériau (le pigment, la pâte), ni même avec l'usager qu'on dérouterait par une composition sucrée-salée (une notion abstraite, comme "durée"mariée à un terme concret comme "poignardée") dont l'usage systématique serait une ficelle. Il discute avec le mystère du monde. [ + ]
Le Mystère chez Magritte
Non pas le mystère de l'esprit; d'où son rejet de la psychanalyse qui invente des biographies imaginaires . Il pense et peint "le mystère du monde". Celui-ci est la limite du langage; c'est pourquoi il résiste à toute interprétation qui est toujours une façon de ressaisir dans l'ordre du discours ce qui se donne au corps, au vécu. Qui dépeint les choses naturelles, artificielles ou mentales laisse la part belle à l'interprétation qui a tôt fait de réduire la peinture à l'illustration d'une thèse. Qui peint le mystère du monde fait que la peinture ne peut que vivre d'elle-même, et reste mise en évidence, i.e. présence manifeste de ce qui se révèle à l'intuition. Cette peinture s'affirme d'elle-même et n'affirme qu'elle-même, dans l'immanence de sa présence, sans qu'on puisse en dégager des motifs transcendants (psychologiques, politiques) qui pourraient la tirer vers l'interprétation.
L'insolite dont fait montre La durée poignardée ne répond ni à un goût du bizarre ni à un système de pensée (comme chez Breton) mais à la mise en œuvre d'une contradiction pour freiner toute velléité d'interprétation.
Ainsi le titre ne fait pas fonction de légende, comme si le mot, double de l'image, disait ce qu'il fallait en dire, mais d'énigme, comme si le mot, trouble de l'image, taisait ce qui ne peut se dire, et le tairait d'autant mieux en couvrant le secret d'un masque plurivoque fascinant l'herméneute.
Après tout, engin de traction ou jouet de collectionneur, peu importe ici car la locomotive est une figure dont l'intérêt pictural réside dans sa contradiction même. Non pas tant l'opposition entre un intérieur bourgeois et une machine en voyage, mais la contradiction inhérente à la machine même: la rectitude froide, noire et figée de l'engin contraste avec son panache chaud, blanc et fluide. Elle met en œuvre la fluidification de la forme et la vaporisation de la matière.
En cela elle est bien la représentation d'un processus de sublimation: le passage d'un état solide à un gazeux sans en passer par l'état liquide. Peut-être la mort comme libération de l'âme éthérée hors d'un corps roide dont elle était principe d'animation.
Aurions-nous tort d'avoir l'intuition d'une mort comme évidence du tableau? Il ne nous montre aucun signe de la mort, nous objectera-t-on. Il fait advenir à la lumière le noir métal et la blanche vapeur. Cette lumière vient de notre droite et porte les ombres de la machine et des aiguilles de la pendule. Une lumière solaire, externe qui se manifeste à l'intérieur par la noirceur de l'ombre: "pour le soleil j'ai trouvé comme réponse: un tombeau.
En effet, en prenant le soleil comme point de départ du voyage que nous faisons, en prenant le soleil comme étant notre origine, il ne nous est pas possible actuellement d'envisager pour ce voyage un terme plus lointain que la mort". [ + ]
Op.cit., n°42 , "La ligne de vie 1", p.122.
Le mystère du monde reste la capacité pour l'artiste à montrer la mort, à rendre visible l'invisible, à mettre en lumière le royaume de l'ombre.
La durée poignardée: le temps assassiné ou le ciseau de la Parque. Une pièce vide, vidée comme après un décès; une locomotive dont le souffle aérien mène ailleurs, au-delà, un voyage sans horizon connu; une lumière qui vient réchauffer une cavité de marbre; et le temps qui court sans spectateur pour lire l'heure. Là bas, au sommet de la cheminée, un blanc souffle aérien se mêle aux nuages dans un ciel bleu: une âme enfin rendue à l'évidence...