L&M
Agence Leo Burnett
L&M,
Agence Leo Burnett,
publicité 1992.
L&M,
Agence Leo Burnett,
publicité 1992.
Introduction: l'objet d'étude et la méthode
Notre objet d'étude [ + ]
Une première version de cette étude est parue sous le titre "L'apport de la sémiotique à l'analyse du discours publicitaire", inJ-M. ADAM, M.BONHOMME (eds), Analyses du discours publicitaire, Toulouse, Editions Universitaires du Sud, 2000
est une publicité pour les cigarettes L&M, parue en 1992. Cette annonce est un exemple de publicité classique [ + ]
La publicité classique
Après l'époque de la réclame (premier prototype), qui donnait à l'acheteur un conseil explicite d'achat, la publicité s'est mise à fonctionner comme un acte de langage indirect.
En effet, le conseil d'achat (acte de langage de type directif) s'est fait de plus en plus implicite, et l'annonce s'est présentée comme un acte de langage constatif. Dans le prototype de la publicité classique, les constatations - valorisantes, bien entendu - portent sur le produit et son consommateur.
Ce prototype est toujours dominant aujourd'hui, mais deux autres prototypes sont apparus : la publicité moderne a fait porter ses constatations sur la publicité elle-même et sur son récepteur ; tandis que la publicité contemporaine, dont le premier exemple est celui de Benetton, fait des constats sur les problèmes de société en s'adressant aux "citoyens du monde".
N. E.-D.
, qui conseille implicitement d'acheter le produit en faisant des "constatations" valorisantes à propos du produit et de son consommateur.Notre méthode est élaborée dans le cadre standard de la sémiotique de l'École de Paris [ + ]
Méthode expliquée dans N.EVERAERT-DESMEDT, Sémiotique du récit, (3ème édition), Bruxelles, De Boeck-Université, 2000.
. Elle consiste à analyser le contenu d'une image à différents niveaux de profondeur, dans la perspective d'un lecteur modèle qui reçoit cette image d'abord à un niveau le plus concret (figuratif), pour atteindre, au terme de son interprétation, un niveau de signification plus abstrait (thématique), en passant par un niveau intermédiaire (narratif).
2. Présentation de la méthode
2.1. Le niveau figuratif
Au premier niveau d'analyse, nous mettons en évidence les relations d'analogie et d'opposition entre les figures [ ? ]
La figure est tout élément concret que le lecteur peut identifier dans le texte au niveau des acteurs ou au niveau spatio-temporel, sur la base de son expérience linguistique ou cognitive.
N. E.-D.
qui constituent l'image. Nous voyons ensuite comment ces figures s'organisent en motifs.
2.2. Le niveau narratif
Au niveau narratif, nous observons les relations actantielles, c'est-à-dire essentiellement des relations de jonction (conjonction ou disjonction) entre des sujets et des objets, ainsi que les actions (ou programmes narratifs) par lesquelles les sujets (appelés "opérateurs") transforment leur état ou l'état d'un autre sujet.
Les actions des sujets opérateurs sont suscitées et évaluées par un autre actant, le destinateur (appelé sujet manipulateur lorsqu'il suscite, et sujet judicateur lorsqu'il évalue).
2.3. Le niveau thématique
Au niveau thématique, nous mettons en évidence, à l'aide du carré sémiotique, les valeurs véhiculées par le texte considéré.
3. Analyse
3.1.Niveau figuratif
Notre annonce ne contient que deux figures, une plaque d'immatriculation et un paquet de cigarettes L & M. Entre ces deux figures s'établissent des rapports d'analogie : la plaque d'immatriculation présente les mêmes couleurs et les mêmes signes graphiques (lettres et chiffres) que le paquet de cigarettes . Les deux figures [ ? ]
La figure est tout élément concret que le lecteur peut identifier dans le texte au niveau des acteurs ou au niveau spatio-temporel, sur la base de son expérience linguistique ou cognitive.
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entrent également dans un réseau d'oppositions : la plaque constitue le fond de l'image, alors que le paquet de cigarettes se trouve au premier plan ; elle constitue une figure à deux dimensions, tandis que le paquet forme un volume ; la plaque est présentée partiellement (mais les inscriptions continuent virtuellement hors de l'image), et le paquet est présenté dans sa totalité (mais quatre cigarettes en sortent).Nous retrouvons, dans notre annonce L&M, trois motifs [ ? ]
Un motif est un ensemble organisé de figures, que l'on rencontre habituellement (et donc que l'on s'attend à rencontrer) quand il est question de tel ou tel type d'événement, dans un genre textuel donné (comme celui de la publicité), ou, de façon plus générale, à travers une culture.
Exemples de motifs dans le genre textuel " publicité classique " : exposition du produit, consommation du produit, fabrication du produit, impositon de la marque et univers du consommateur. Ce dernier motif est constitué par la sélection d'un motif culturel, toujours présenté de façon euphorique et valorisante.
Exemples de motifs culturels : courses dans un supermarché, repas au restaurant, mariage, cours, voyage, pause dans le travail, etc.
N. E.-D.
caractéristiques de la publicité classique : l'exposition du produit, sa consommation, et l'univers du consommateur.
Le produit est exposé, au premier plan, de telle façon (position et éclairage) que la marque soit bien visible. Son exposition est légèrement (et habilement) métaphorisée : le paquet s'avance sous les feux des projecteurs, comme une vedette sur scène .
Le paquet est ouvert, et quatre cigarettes en sont partiellement sorties, pour être offertes au consommateur. La position des cigarettes offertes à la consommation peut être vue comme une métaphore de l'Empire State Building . Cette métaphore, discrète, à peine esquissée, renforce, si elle est perçue, le motif suivant.
L'univers euphorique dans lequel le consommateur potentiel des cigarettes L & M est invité à se projeter est celui du "rêve américain", représenté par la plaque d'immatriculation. Celle-ci renvoie, en effet, par métonymie, à un type d'événement supposé valorisant (pour le public-cible de l'annonce) : conduire une voiture américaine.
3.2. Niveau narratif
Notre annonce, apparemment statique (avec ses deux figures [ ? ]
La figure est tout élément concret que le lecteur peut identifier dans le texte au niveau des acteurs ou au niveau spatio-temporel, sur la base de son expérience linguistique ou cognitive.
N. E.-D.
immobiles), se dynamise cependant lorsque l'on tient compte de la profondeur de l'image.
Du fond vers le premier plan, on peut lire un premier parcours narratif [ ? ]
Le programme narratif en Sémiotique
Au niveau narratif, nous observons les relations actantielles, c'est-à-dire essentiellement des relations de jonction (conjonction ou disjonction) entre des sujets et des objets, ainsi que les actions ou programmes narratifs par lesquels les sujets (appelés "opérateurs") transforment leur état ou l'état d'un autre sujet. Les actions des sujets opérateurs sont suscitées et évaluées par un autre actant, le destinateur appelé sujet manipulateur lorsqu'il suscite, et sujet judicateur lorsqu'il évalue.
N. E.-D.
: les États-Unis (représentés métonymiquement par la plaque d'immatriculation) vous présentent (rôle de l'apostrophe de 25'S, qui fonctionne comme une flèche) leur produit-vedette (le paquet au premier plan, sous les feux des projecteurs). L'Amérique joue donc le rôle de destinateur-sujet manipulateur. Le produit occupe la position d'un sujet opérateur : il a accompli la performance de contenir 25 cigarettes de qualité américaine !
Il sollicite à présent, à juste titre, en se plaçant sur le devant de la scène, la reconnaissance ou la glorification de la part du public : le consommateur.
Ce dernier se trouve ainsi placé en position de sujet judicateur, c'est-à-dire qu'il est amené à approuver le système de valeurs présenté dans l'annonce. Or, celui qui approuve les valeurs les considère comme désirables, en vient à les désirer... Et c'est ainsi que le consommateur entre dans le deuxième parcours narratif.
Du premier plan vers le fond, le consommateur est invité à jouer un rôle de sujet opérateur à qui est proposé un objet de valeur : le rêve américain. Pour l'atteindre, il doit passer par la consommation des cigarettes qui sortent du paquet.
3.3. Niveau thématique
À propos de notre annonce, nous pouvons construire deux carrés sémiotiques [ ? ]
Le carré sémiotique est élaboré à partir d'un axe sémantique (horizontal) sur lequel s'inscrivent deux termes contraires ; chacun de ces termes projette (en diagonale) son contradictoire ; et le contradictoire de chacun des termes de départ implique (axe vertical) l'autre. Sur le carré ainsi construit, on peut suivre un parcours thématique allant de l'affirmation d'une valeur à sa négation, qui implique l'affirmation de la valeur contraire.
N. E.-D.
: l'un, sur la base des oppositions, et l'autre sur la base de l'analogie entre les figures (cfr niveau figuratif).
Sur la base des oppositions entre les figures : le rêve s'oppose à la réalité.
Le rêve, lointain, insaisissable, occupe le fond de l'image : c'est l'Amérique, représentée par la plaque d'immatriculation. La réalité est celle du paquet de cigarettes, lequel s'avance, en volume, hors de l'image, pour rejoindre l'espace du consommateur.Nous pouvons tracer, sur le carré sémiotique suivant, le parcours thématique entre rêve et réalité :
Les cinq étapes numérotées sur le carré suivent le parcours du regard (cfr schéma tracé sur l'image).
Nous pouvons résumer le parcours thématique comme suit : le rêve américain (1) vous est présenté par l'image publicitaire (2) sous la forme du paquet de cigarettes (3), et la consommation des cigarettes, déjà sorties du paquet (4), vous fera participer au rêve américain (5).
Sur la base de l'analogie entre les figures [ ? ]
La figure est tout élément concret que le lecteur peut identifier dans le texte au niveau des acteurs ou au niveau spatio-temporel, sur la base de son expérience linguistique ou cognitive.
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: l'identité.
La plaque d'immatriculation permet au propriétaire de la voiture de marquer son identité (parmi toutes les autres plaques des autres voitures). De même, par l'analogie présentée dans cette annonce, le consommateur est invité à se distinguer (de tous les autres) et à marquer son identité en choisissant la sélection-combinaison de tabacs (cfr "selected quality tobaccos") réalisée pour lui par L&M.
L'élaboration de la plaque d'immatriculation ou du paquet L&M se fait selon le parcours thématique suivant :
En combinant les valeurs qui apparaissent sur les deux carrés sémiotiques, ce que la publicité L&M nous propose, c'est de marquer notre identité en participant au rêve américain !
4. Conclusion : apport de la sémiotique.
Notre analyse montre ce que la sémiotique standard de l'Ecole de Paris peut apporter à l'analyse du discours publicitaire : une analyse systématique en niveaux qui montre le fonctionnement de la signification à l'intérieur de l'annonce elle-même.
Notre méthode est élaborée dans le cadre standard de la sémiotique de l'Ecole de Paris. Ce cadre théorique nous a permis de nous constituer une véritable boîte à outils [ + ]
Voir synthèse dans EVERAERT-DESMEDT, 2000, p. 83-89.
, dont nous avons pu éprouver l'efficacité en abordant divers types d'objets culturels : textes littéraires, albums illustrés pour enfants, articles et dessins de presse, espaces, et, très fréquemment, annonces et films publicitaires [ + ]
Voir, par exemple, pour l'étude d'un texte littéraire, EVERAERT-DESMEDT, 1993a ; pour l'analyse d'un dessin de presse, 1994a ; pour l'analyse d'un espace, 1994b ; et, en ce qui concerne la publicité, 1984, 1989b, 1997.
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Deux concepts essentiels régissent notre approche : la fonction sémiotique et le parcours génératif / interprétatif de la signification.
La fonction sémiotique, d'après HJELMSLEV, consiste à expliquer la production de la signification, dans un objet culturel quelconque, par la mise en relation d'un plan de l'expression (le plan matériel, le signifiant) avec un plan du contenu (le plan conceptuel, le signifié), l'un et l'autre plan étant mis en "forme", c'est-à-dire articulés, organisés, structurés.
Le parcours génératif, d'après GREIMAS et COURTES (1979), consiste à analyser le contenu d'un texte à différents niveaux de profondeur. Ce que nous désignons ici comme parcours interprétatif de la signification, et que nous utiliserons dans notre analyse, consiste à remonter, en sens inverse, les niveaux du parcours génératif. Nous nous placerons, en effet, dans la perspective du lecteur modèle de l'annonce publicitaire que nous allons examiner : ce lecteur modèle reçoit l'annonce d'abord à un niveau le plus concret (figuratif), pour atteindre, au terme de son interprétation, un niveau de signification plus abstrait (thématique), en passant par un niveau intermédiaire (narratif). Le cadre théorique de référence nous fournit les concepts appropriés pour éclairer notre objet d'analyse sur chacun des trois niveaux. Nous veillerons également à montrer comment s'opère le passage d'un niveau à l'autre.